De la France à l’Angleterre , la vie extrême des migrantes
A Calais, la vie extrême des migrantes
De plus en plus de migrantes tentent leur chance vers l’Angleterre
Article d’Olivia Müller, dans les Inrocks
A Calais, la vie extrême des migrantes – Parmi les migrants qui tentent leur chance vers l’Angleterre depuis Calais, le nombre de femmes est grandissant. Certaines sont mères, d’autres enceintes. Toutes vivent des situations extrêmement difficiles. En plus des risques du passage d’un pays à l’autre avec des policiers qui n’hésitent plus à les battre à l’égal des hommes, elles sont également menacés de violations. Certaines sont obligées de se prostituer pour survivre. Des conditions de vie déplorables sur le territoire français…
————–“Il est 23 heures et, comme tous les soirs, Ada* embrasse une image pieuse pour appeler à la rescousse Marie, Jésus et les archanges Michel et Gabriel. Joab, son garçon de 5 ans, y dépose à son tour un petit baiser. Après, comme tous les soirs, Ada attrape Joab qui tente de déguerpir. Elle lui enfile un T-shirt. Il pleure pour la première fois de la journée. Il sait ce qui l’attend. Il connaît l’histoire. Malgré les cris et les larmes, il se laisse faire. C’est le début de la 1. Le prénom a été modifié métamorphose. Ada enfile à son petit garçon huit T-shirts, cinq pulls, deux manteaux, quatre pantalons et cinq paires de chaussettes. Maintenant, il transpire à grosses gouttes.
A leur tour, Ada et ses amies accumulent les épaisseurs. Il est une heure du matin, elles sont prêtes à quitter le centre Victor-Hugo, aussi appelé la “Maison des femmes”. “Tonight, we take a chance”, disent-elles, comme si c’était la première fois. Chaque soir, elles tentent un passage clandestin vers l’Angleterre en se faufilant dans la remorque d’un camion. Cette nuit-là, elles sont six à partir dans le noir. Elles ont deux heures de marche pour atteindre les lieux de passage, les parkings du côté de la zone industrielle proche des dunes.
Arrêter le carnage
Le centre Victor-Hugo est un préfabriqué, au milieu des champs, à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Calais. Nuit et jour, quarante femmes et quatre enfants y trouvent refuge. A l’intérieur : une trentaine de matelas posés par terre, quelques douches, une cuisine, mais surtout de la lumière et du chauffage. David Lacour, directeur de Solid’R, l’association gestionnaire du centre, explique que “ce n’est pas un centre d’hébergement, c’est bien trop précaire, disons que c’est plutôt un lieu de mise à l’abri”.
Ancien pasteur, David Lacour travaille d’arrache-pied pour protéger celles qu’il appelle “les dames”. Il bataille pour “un peu plus d’humanité”. “L’hiver arrive, ne cesse-t-il de répéter, il faut arrêter le carnage.” Pudique, il masque sa fatigue et son inquiétude. Il sait qu’à Calais, les choses vont de mal en pis. Il y a quelques semaines,une des habitantes du centre est morte, écrasée alors qu’elle tentait de traverser l’autoroute pour sauter dans un camion.
En janvier dernier, les femmes n’étaient que vingt-cinq à Calais. Aujourd’hui, elles sont deux cent cinquante. Une bonne dizaine d’entre elles dorment dans deux bungalows de chantier, placés dans la cour du squat Galou, une usine désaffectée occupée par des Soudanais et quelques Syriens. Le jour de notre arrivée, certaines femmes restaient apeurées. Deux jours plus tôt, un Soudanais s’était jeté sur elles, “comme un chien”, ivre mort. Il avait défoncé la porte, brisé les fenêtres. Un militant du collectif No Border, alerté par les hurlements, est arrivé à temps avec d’autres migrants pour maîtriser la brute.”