06 Jan

Les migrantes du sexe, les oubliées de l’état chilien

“Del Caribe a la última esperanza”, un documentaire de Michelle Carrère et Christian Carrère.

Les migrantes du sexe, les oubliées de l’état chilien

Le Chili est une terre qui a accueilli des milliers de migrants du 19 au 20ème siècle. Aujourd’hui, devant sa prospérité économique, le pays fait face à un nouvel afflux d’immigrants : + 160 % entre 2002 et 2012. Si, en août 2014, des migrants manifestaient pour une meilleure reconnaissance de leurs droits, il est un autre groupe dont on parle peu, celui des migrantes travailleuses du sexe dans la région méridionale du Chili.

C’est un peu plus haut que la Terre de feu, cet archipel partagé entre Argentine et Chili. La province se dénomme Magallanes, la ville principale, Punta Arenas. C’est une belle destination touristique pour certains, c’est un enfer pour d’autres, pour ces femmes migrantes qui viennent y échouer.

De la République dominicaine, une île des Caraïbes bien éloignée de ce port sur le Pacifique, ou de Colombie, à l’autre extrémité du continent, elles sont arrivées un jour, parfois par choix, souvent contraintes. La traite des personnes n’est pas un mot inconnu à leur vocabulaire, même s’il est tu. Chacun a un parcours différent, toutes ont rêvé d’une vie meilleure.

Une étude de 2003 de l’Office International des Migrations assurait que la migration de Dominicaines en Argentine a commencé à être visible en 1995. La crise qui a frappé ce pays en 2001 et ses répercussions s’étendent jusqu’à aujourd’hui et auront motivés une nouvelle immigration vers d’autres pays, dont le Chili.

Dans une région qui possède l’un des plus hauts revenus par personne du pays, elles se battent pour envoyer ce qu’elles peuvent à leur famille, leurs enfants restés au pays. Ce sont des prostitués qui n’ont pas eu le choix de leur profession. Certaines ont été trompées, abusées, violentées, et celles qui ont choisi de venir pour y gagner leur vie, ne sont pas mieux traitées. Elles vivent dans des conditions précaires, à la limite de l’esclavage pour certaines, leurs droits sont bafoués

Deux types de migrations se côtoient à Magallanes. D’une part, un déplacement dans le pays même, masculin, une migration pour le travail dans le secteur minier où les droits du travail sont strictement appliqués et respectés. D’autre part, une migration transnationale au visage féminin où tous leurs droits sont très souvent transgressés.

Malgré ces conditions, des femmes continuent à affluer dans la région notamment depuis l’Argentine, pays qui en 2012 a fermé tous les locaux nocturnes par décret présidentiel. L’objectif était de lutter contre la traite des personnes et l’exploitation de la femme, le résultat a été tout autre… Les femmes se sont retrouvées dans des situations de fragilité extrême : précarité économique, travail dans la rue plus dangereux, locaux clandestins où insécurité, violences physiques et verbales sont monnaie courante…

Pourquoi rester dans les boîtes nocturnes de Magallanes si les conditions sont si dramatiques ? Les papiers… Toutes ces femmes ont l’espoir d’obtenir leur permis de séjour définitif au Chili. Cela signerait la réussite de leur projet migratoire. Une condition à cela : garder son travail pendant deux ans chez le même employeur. Si la migrante se retrouve sans activité, elle a une période de trois mois avant d’être expulsable. Si elle retrouve un emploi, le compteur est remis à zéro. Alors, elles s’accrochent à leur travail, aussi destructeur moralement que physiquement soit il.

Se retourner vers la justice est impensable pour elles. Le cadre légal du pays est très limité, elles craignent de perdre leur permis de séjour temporaire si elles portent plainte, et à qui se plaindre quand on sait que policiers et autres fonctionnaires de l’Etat sont clients des bordels…

————-  Michelle Carrère et Cristián Carrère mènent un travail documentaire sur le sujet. L’article précedent est un reflet de leur article sur Ciper,disponible ICI. Le documentaire est en cours de réalisation.