01 Mai

Le ventre de l’Atlantique, un roman de Fatou Diome sur l’immigration

fatou diome ventre atlantiqueLe ventre de l’Atlantique, un roman de Fatou Diome sur l’immigration

“Le ventre de l’Atlantique, est le premier roman de Fatou Diome, auteure sénégalaise, arrivée en France au début des années 1990. Il raconte les mirages de l’immigration et les déchirements entre Europe et Afrique que vit son personnage principal, Salie.

« Le ventre de l’Atlantique » est le premier roman de Fatou Diome, largement inspiré de sa propre histoire entre Sénégal et France.

Elle y parle d’exil, de déchirement du territoire natal où elle ne trouvait pas sa place, de la distance qui s’installe quand on part, de l’inéluctable changement qui a lieu chez les proches et de l’impossible retour en arrière, mais aussi d’une recherche personnelle de soi loin de son environnement familier.

« L’exil, c’est mon suicide géographique. L’ailleurs m’attire car, vierge de mon histoire, il ne me juge pas sur la base des erreurs du destin, mais en fonction de ce que j’ai choisi d’être ; il est pour moi gage de liberté, d’auto-détermination. Partir, c’est avoir tous les courages pour aller accoucher de soi-même, naître de soir était la plus légitime des naissances. (…) Papiers ? Tous les replis de la Terre. Date et lieu de naissance ? Ici et maintenant. Papiers ! Ma mémoire est mon identité.

(…) Partir, c’est porter en soi non seulement tous ceux qu’on a aimés, mais aussi ceux qu’on détestait. Partir, c’est devenir un tombeau ambulant rempli d’ombres où les vivants et les morts on l’absence en partage. Partir, c’est mourir d’absence. On revient, certes, mais on revient autre. Au retour, on cherche, mais on ne retrouve jamais ceux qu’on a quittés ».

Une grande place est faite à l’immigration du Sénégal à la France, de l’envie des jeunes de quitter le pays vers un Eldorado qui n’existe pas. Salie, le personnage principal, essaye d’expliquer à son jeune frère que la France n’est pas le paradis, qu’il serait mieux de rester au pays. Mais quel poids ont ses mots, elle qui vit en France et est symbole de réussite pour ses proches ? Et comment se battre face à des Sénégalais qui, comme elle, vivent ou ont vécu en France et, plutôt de que de parler de leur vraie vie, souvent misérable, préfèrent la bonifier ?

« Mon frère avait la ferme intention de s’expatrier. Dès son plus jeune âge, ses aînés avaient contaminé son esprit. L’idée du départ, de la réussite à aller chercher ailleurs, à n’importe quel prix, l’avait bercé ; elle était devenue, au fil des années, sa fatalité. L’émigration était la pâte à modeler avec laquelle il comptait façonner son avenir, son existence tout entière ».

« – Il y a des vieux qui vivent peinards au village maintenant, ils ont réussi là-bas, eux. Alors, pourquoi pas nous ?   (Madické, le frère)

– Détrompe-toi. Dans le temps, après la Seconde Guerre mondiale, ils accueillaient beaucoup de monde, parce qu’ils avaient besoin d’ouvrier pour reconstruire le pays. Ils engageaient en masse des immigrés d’origine diverses qui, chassés par la misère, acceptaient d’aller tutoyer la mort au fond des mines de charbon. Beaucoup de ces gens ont payé des cotisations pour une retraite qu’ils ne toucheront jamais. Rares sont ceux qui ont vraiment réussi. Les Africains, toutes vagues confondues, vivent en majorité dans des taudis. Nostalgiques, ils rêvent d’un retour improbable dans leur pays d’origine ; pays qui, tout compte fait, les inquiète plus qu’il ne les attire, car, ne l’ayant pas vu changer, ils s’y sentent étrangers, lors de leurs rares vacances. Leurs enfants, bercés par le refrain Liberté, Egalité, Fraternité, perdent leurs illusions lorsque, après un combat de longue haleine, ils se rendent compte que la naturalisation enfin obtenue n’ouvre pas davantage leur horizon. Le petit carton de la nationalité ne se colle pas sur le front. (…) En Europe, mes frères, vous êtes d’abord noirs, accessoirement citoyens, définitivement étrangers, et ça, ce n’est pas écrit dans la Constitution, mais certains le lisent sur votre peau ».

Fatou Diome signe un livre très juste sur la migration vue du pays de départ et d’arrivée où chacun, au final, est responsable. L’auteure, elle-même, a trouvé sa voie dans l’écriture qui la réconcilie entre Afrique et Europe :

« Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où l’Afrique et l’Europe perdent leur orgueil et se contentent de s’additionner : sur une page, pleine de l’alliage qu’elles m’ont léguées. »

————- Le livre

Le ventre de l’Atlantique, Fatou Diome, 2003